De la ferme à la boîte de pétri : la viande in vitro se passe de prairie

Texte par : Maria Baeza, Gabriel Lachance, Vincent Robert, Stéphane Samson.

Dans un climat de réchauffement planétaire, de besoins alimentaires mondiaux croissants et de prise de conscience de la souffrance animale, l’humain se doit de trouver des solutions. Si les pays en développement commencent à s’alimenter comme nous le faisons en Amérique, la température moyenne sur terre ne cessera d’augmenter, entraînant une multitude de conséquences, pouvant causer la mort de millions d’humains. Une des solutions apportées à ces problèmes est la conception et la commercialisation à grande échelle d’une viande dite in vitro. En quoi consiste la viande in vitro ? Cette nouvelle source d’alimentation possède-t-elle les avantages que prétendent ses concepteurs ? Ce projet est-il réalisable dans un temps raisonnable ? Et ce nouveau produit sera-t-il accepté par les consommateurs ?

Notre espèce, Homo sapiens sapiens ou Humain doublement sage, est âgée de plus de 300 000 ans, et est devenue par son histoire évolutive un des évènements les plus marquants de l’histoire de la planète. Elle modifie les écosystèmes terrestres de façon tellement importante que le scientifique Paul Joseph Crutzen affirme dès 1995 que nous sommes entrés dans l’ère de l’anthropocène : l’ère de l’Humain. Il y a environ 10 000 ans, l’Humain, à l’origine chasseur-cueilleur, passe à un mode de vie plus sédentaire grâce, notamment, à la domestication progressive de certaines espèces animales. C’est la naissance de l’agriculture et en particulier de l’élevage. Ce développement sans précédent de techniques et de transformations de l’environnement est dû en particulier à un aliment : la viande. En effet, l’essor de l’espèce humaine a pour origine une modification de son régime alimentaire due à un probable accident lorsqu’un bout de viande tombe malencontreusement dans le feu. Ce bout de viande se révèle délicieux et son rapport énergétique est bien meilleur que la viande crue, car les graisses et les protéines s’assimilent beaucoup mieux. Ce meilleur apport nutritif permet à l’Humain de se libérer d’une partie du temps de chasse et, combiné à ce plus grand apport de graisses qui augmente la taille de son cerveau, il peut se consacrer à des activités qui demandent plus de réflexions. La viande est donc depuis toujours un élément clé de notre régime alimentaire jusqu’à devenir la base de l’alimentation de certaines populations, comme les Inuits qui en sont complètement dépendants.

Problématiques actuelles de la viande

Cependant, l’Humanité du XXIème siècle fait face à des défis immenses, à l’heure où le réchauffement climatique la menace, elle, ainsi que la totalité de la Biosphère. L’élevage industriel actuel est accusé d’être responsable de 18% des dégagements de gaz à effet de serre alors même que la majorité des populations des pays en voie de développement s’apprêtent à atteindre un niveau de vie qui leur permettra de consommer de la viande. En effet, la croissance démographique récente du XXIème siècle explose, due à de meilleures conditions sanitaires. La population humaine devrait passer à probablement plus de 9 milliards d’individus d’ici 2050, augmentant ainsi la demande mondiale en nourriture. De plus, 1 milliard d’Asiatiques et 500 millions de Sud-Américains risquent d’augmenter leur consommation de viande de 9kg/an/personne à plus de 80kg/an/personne d’ici 2030 grâce à l’amélioration du niveau de vie. Au final, l’augmentation de la consommation de viande mondiale risque de tripler d’ici 2050. La demande en viande devient alors un des défis planétaires majeurs. Les écologistes et le mouvement altermondialiste en général alarment sur le caractère insoutenable du système de production de viande pour la planète. L’industrie de l’élevage occupe déjà 70% des terres agricoles à la surface de la Terre. Leur superficie s’accroît par déforestation massive de forêts tropicales en Amérique du Sud et en Afrique centrale, causant l’extinction de plusieurs espèces, tandis que d’autres terres deviennent désertiques après un pâturage trop intensif. 

Cette surface est essentiellement utilisée pour la production de nourriture végétale pour les animaux, dont le blé, le maïs et le soja, des denrées alimentaires qui pourraient servir à diminuer l’insécurité alimentaire dans les pays en développement. Par ailleurs, le tissu musculaire possède une très faible capacité de conversion énergétique. Il faut en effet 7kg de blé pour produire 1kg de bœuf et 4kg de blé pour 1kg de poulet. Entre 7 000 et 15 000 litres d’eau sont également nécessaires à la production de ce kilo de viande alors même que l’eau devient un enjeu environnemental et géopolitique de plus en plus tendu. Pour un apport en protéines équivalent, le soja, le blé ou le maïs nécessitent uniquement 1000 litres d’eau. Les médecins mettent en garde sur la forte concentration de la viande industrielle en hormones de croissance et antibiotiques qui entraînent des dérèglements hormonaux. Enfin, de plus en plus de voix se lèvent contre les conditions de production non éthiques de la viande d’élevage, en particulier lors de l’abattage des animaux à la chaîne, mais également durant leur croissance, concentrée dans des espaces extrêmement réduits et dans des conditions de vie déplorables. 

Le système de production de la viande conventionnelle ne paraît donc pas durable et avec le progrès des biotechnologies, des scientifiques se sont penchés sur la façon de résoudre ce problème planétaire par la production de viande artificielle en laboratoire : une viande in vitro.


«Nous allons échapper à l’absurdité de faire croître un poulet entier pour en manger la poitrine ou les ailes, en cultivant ces parties séparément dans un milieu approprié.»

— Winston Churchill (Traduction libre de l’anglais)


Qu’est-ce que la viande in vitro?

Photo : Mark Post présentant son premier burger à 350 000 $ – David Parry / PA Wire

Le désir de remplacer les méthodes de production de viande traditionnelles n’est pas une idée récente. En effet, le concept a initialement été présenté par le célèbre premier ministre britannique Winston Churchill qui en faisait mention dès 1931! Dans son texte intitulé «Fifty Years Hence», celui-ci décrit ses prévisions du futur et mentionne que «nous allons échapper à l’absurdité de faire croître un poulet entier pour en manger la poitrine ou les ailes, en cultivant ces parties séparément dans un milieu approprié».

Bien sûr, l’un des plus gros obstacles est le prix ! En 2013, le chercheur néerlandais Mark Post présente le premier burger de bœuf produit par culture in vitro, pour la modique somme de 250 000 euros (environ 350 000$ CAD) ! Bien que 6 ans plus tard, aucun produit commercial ne soit encore disponible, la compagnie Mosa Meat affirme maintenant pouvoir produire un burger pour 9 euros (environ 13,50$ CAD).

La viande In vitro offre plusieurs avantages tant au niveau de sa production que du produit final. En effet, il est possible de contrôler chaque aspect de la viande cultivée, que ce soit sa composition, sa saveur, sa teneur en acides gras bénéfiques ou nocifs et même la quantité totale de gras présente. Il est même possible d’aller plus loin et de rajouter des vitamines ou autres composés bénéfiques, si cela s’avère d’intérêt. En bref, le profil nutritif entier de l’aliment est modifiable. 


Le saviez-vous?

Les premières études de la NASA sur la viande in vitro visaient à cultiver des tissus musculaires de poissons rouges pour nourrir les astronautes dans l’espace.


Au-delà des atouts gustatifs, la viande in vitro ne comporte pas ce que vous voulez sûrement éviter : les pesticides, les hormones et les contaminants auxquels la viande d’élevage est constamment exposée. Non seulement la viande in vitro est entièrement contrôlable, mais les milieux de culture le sont aussi.

Plusieurs études ont montré qu’entre 75% et 95% de la nourriture donnée aux animaux d’élevage servent à la production de tissus animaux non comestibles. La viande in vitro ne produit pas de gaspillage équivalent de ressources, car seules les composantes comestibles sont produites. De plus, il s’agit d’une option à coût énergétique significativement plus faible, surtout lorsqu’on considère l’espace requis ainsi que le temps de croissance qui se compte en semaines et non en mois ou années. Selon l’étude de Hanna L. Tuomisto sur l’impact environnemental de la production de viande in vitro, l’ensemble de ces facteurs permettraient donc de réduire la production de gaz à effet de serre de 78 à 96%, l’utilisation de surface terrestre de 99% ainsi que l’utilisation en eau de 82 à 96%. En plus, la capacité de construire les bâtiments de culture en hauteur permettrait à la fois de réduire l’espace requis et également de rapprocher les centres de production aux villes, réduisant le transport requis.


Des protéines à profusion !

Il existe d’autres sources de protéines capables de remplacer la viande en termes d’apport en protéines :

  • Les protéines végétales :
    • Légumineuses
    • Des produits comme le soja, le colza, le tournesol, le pois, le lupin et la féverole ont une grande teneur en protéines.
    • Algues
  • Les insectes
  • Les analogues de viande à base de protéines végétales :
    • Les produits Quorn®, mycoprotéines du champignon Fusarium venenatum. Bien que sa production soit simple et peu coûteuse, ce produit est encore marginal sur le marché.

La production de la viande in vitro

Maintenant, imaginez que vous êtes à table, devant un grand et délicieux filet de bœuf et vous vous demandez par quel chemin est-il passé pour arriver jusqu’à votre assiette? Toutes les viandes que nous avons l’habitude de manger quelle que soit leur origine – vache, poulet, porc, dinde – consistent en un morceau de tissu musculaire. Ce tissu est composé de 80% de fibres musculaires organisées en faisceaux et enveloppées par du tissu conjonctif riche en collagène, irriguées par des nerfs et des vaisseaux sanguins qui apportent des nutriments ainsi que de l’oxygène. Au niveau chimique, le muscle est composé d’une forte teneur en eau (75%), en protéines (20%) et d’une faible proportion de lipides (<8%). 

L’objectif de la production de viande in vitro est de maintenir cette composition du muscle et d’imiter le processus naturel de synthèse du tissu musculaire afin d’obtenir une viande indistinguable de ce qu’on retrouve aujourd’hui en épicerie. Plusieurs techniques ont été développées pour la production de viande in vitro, telle que la technique auto-organisatrice où un tissu musculaire squelettique animal est maintenu en vie dans un pétri et laissé croître par lui-même. Cette méthode cependant laisse à désirer, du fait des limitations de la croissance des tissus et du besoin incessant d’effectuer des nouvelles biopsies animales.

Actuellement, la technique privilégiée par l’industrie est la technique par échafaudage. Cette technique requiert l’utilisation de cellules satellites musculaires adultes ou de cellules souches à l’origine des muscles squelettiques, les myoblastes embryonnaires. Ces cellules sont sélectionnées du fait de leur grande vitesse de croissance et de prolifération. Bien que les méthodes employées diffèrent légèrement de compagnie en compagnie, celles-ci suivent toutes la même logique. Par exemple, chez Mosa Meat, les cellules sont déposées dans un milieu de croissance riche en nutriments et en hormones de croissance, puis dans un bioréacteur qui permet de simuler les conditions de vie des cellules dans un animal. Ainsi, les cellules ont tout ce qu’il leur faut pour croître et se multiplier pour atteindre des trillions de cellules à partir d’un très petit nombre initial. Lorsque assez de cellules ont été produites, celles-ci sont retirées du milieu de croissance et vont se différencier en fibres musculaires primitives, des myotubes. Ces myotubes, comme le nom de la technique l’indique, vont être par la suite déposés sur un échafaudage de collagène qui va aider à la formation de fibres musculaires complètes. Ces fibres musculaires constituent la viande propre à la consommation humaine. Mosa Meat affirme pouvoir produire 80 000 burgers d’1/4 de livre à partir d’une seule biopsie!

Photo : new-harvest.org

Cependant, une controverse existe quant à l’origine du milieu de croissance le plus communément utilisé : le sérum de veau fœtal (SVF). En effet, celui-ci est obtenu par le drainage du sang cardiaque de fœtus de veaux pendant qu’ils sont encore vivants. Toutefois, l’utilisation du SVF reste forte avantageuse. Sa capacité à influencer toutes les sortes de cellules et sa grande concentration en hormones de croissance le rend attrayant pour les compagnies cherchant à maximiser leurs capacités de production cellulaire. Malgré cela, de plus en plus de compagnies tentent de le remplacer, préférant des alternatives éthiquement plus sécuritaires, mais qui sont moins polyvalentes ou permettent des capacités de production moindres.  


Le saviez-vous?

Il existe d’autres alternatives à l’échafaudage, telles que :

  • Une imprimante 3D : créée par la société « Organovo » est capable d’imprimer des tissus et des organes. Dans cette technique d’impression d’organes, une cartouche contient des cellules souches pour la production de muscle et une autre contient une matrice soluble qui va servir de support aux cellules. Une fois imprimées, ces cellules fusionnent et forment un tissu musculaire.
  • La biophotonique : cette technique repose sur les effets des lasers pour déplacer des particules de matière vers certaines structures organisationnelles, la biophotonique, est un nouveau processus consistant à utiliser la lumière pour lier des particules de matière.
  • La nanotechnologie : la viande synthétique est obtenue par production et modification de matériaux au niveau de l’atome et de la molécule.

L’aspect social

Même si la viande in vitro représente une solution alléchante pour répondre à plusieurs enjeux écologiques, elle doit se faire accepter par le public, étape cruciale pour se retrouver dans les rayons des épiceries. En prévention de l’arrivée de cette nouvelle technologie, Dr. Siegrist, un chercheur en comportement du consommateur à l’université de Zurich, a effectué des sondages auprès des consommateurs de viande pour connaître la manière dont ils se positionnent entre l’achat de viande produite en laboratoire et entre celui de viande produite à la ferme. De façon générale, les résultats ne sont pas de bon augure pour la vente à grande échelle de viande in vitro. Sans être particulièrement informés sur les enjeux environnementaux que représente l’industrie de la viande actuelle, à peine 25% des participants étaient enclins à essayer la viande produite en laboratoire. Après avoir été informés des bienfaits potentiels de consommer de la viande produite en laboratoire par rapport à de la viande traditionnelle, seulement 43% des participants ont accepté d’essayer. Enfin moins de 20% des personnes questionnées ont estimé que la viande in vitro serait acceptée par le public. 

La principale raison de ces résultats est que le public reste méfiant du caractère artificiel de la viande in vitro. Plusieurs études expliquent que les consommateurs optent pour acheter les produits les plus naturels possible. C’est-à-dire, ceux qui ont été le moins transformés par les scientifiques. Dans cette optique il va de soi que la viande in vitro ne soit pas vraiment alléchante, car elle est en effet l’opposé du naturel. Cela ne veut pas nécessairement dire que le futur de la viande in vitro est compromis. “Au début, les gens sont toujours réticents au nouveau, surtout en ce qui concerne la nourriture. Si cette viande in vitro garantit la sécurité alimentaire du produit, la compatibilité environnementale, les aspects éthiques et un prix accessible, le seul obstacle est de vaincre les atavismes alimentaires, c’est-à-dire les coutumes ancestrales des gens” assure Juan José Badiola, Président du Conseil général des collèges vétérinaires d’Espagne. Selon lui “C’est une question d’habitude”. Tout dépend de l’approche. Les publicités et les articles voulant promouvoir la viande in vitro pourraient se concentrer sur les points semblables entre la ‘’vraie’’ et la ‘’fausse’’ viande plutôt que leurs différences et mettre en avant les bienfaits que peut apporter ce changement dans notre consommation. 

Et pour l’avenir…

Les entreprises productrices de viande in vitro sont particulièrement optimistes sur l’avenir de cette filière de production et parlent d’une réelle révolution de nos habitudes de consommation. Mais comme plusieurs chercheurs l’ont soulevé, les impacts de la production à grande échelle de la viande in vitro sont inconnus. Il est difficile de prédire quels seront les produits qui seront rejetés par les usines et en quelle quantité. Également, aucune étude n’a encore été réalisée pour tester les effets de la consommation de viande in vitro à long terme. Sachant que la production de cette dernière nécessite une grande quantité d’hormones de croissance, les chercheurs restent sceptiques quant à ses bienfaits. De plus, si cette méthode de production ne parvient pas à se passer de sérum de veau fœtal, elle ne remplira que partiellement son objectif d’éliminer l’abattage animal dans sa chaîne de production. Enfin, celle-ci doit pouvoir s’intégrer au marché et communiquer sur les avantages de son produit afin de le faire accepter par la société de consommation. Sur l’alimentaire, l’industrie de la viande n’est pas le seul fléau. Un autre mot devrait être sur les lèvres de tous ceux qui veulent un futur plus vert et équitable : gaspillage! Environ 25% de la nourriture produite sur terre est jetée sans avoir été consommée et sachant qu’environ 50% de ce qui est cultivé en Amérique du Nord ne sera jamais consommé. Il y a de quoi se questionner sur ces habitudes de consommation. De petites actions comme acheter en moins grande quantité, mais plus souvent ou de favoriser l’achat de produits locaux, font une différence. La viande in vitro n’est donc pas, comme le présente les entreprises qui la produisent, une solution miraculeuse à la production de viande traditionnelle. Si elle arrive à relever certains défis propres à son système de production, elle pourra mener à une modification de nos habitudes de consommation, contribuer à la création d’une société durable et respectueuse de l’environnement et de la condition animale. Alors, même si des centaines de chercheurs travaillent assidûment pour nous offrir des technologies nous permettant d’être plus écoresponsables, le bien-être de la planète est l’affaire de tous et en tant qu’Humain doublement sage, nous devons chacun prendre notre part de responsabilité quant au futur de notre monde.