L’arbre, un super-héros surestimé?

Texte par : Vanessa Di Maurizio, Anastasiya Isayeva et Charlotte Langlois

Alors que la crise climatique est plus préoccupante que jamais, la plantation massive d’arbres s’impose comme solution miracle pour empêcher le désastre. À l’été 2019, une étude scientifique déclare que la plantation d’arbres à elle seule pourrait capter le tiers des émissions anthropiques de carbone depuis la révolution industrielle. Pourtant, les catastrophes naturelles telles que les feux de forêts et la découverte de nouvelles maladies exotiques menaçant nos arbres font constamment la une des journaux.  Ainsi, bien que les géants verts puissent nous être d’importants alliés dans la lutte contre les changements climatiques, il ne suffit pas de planter massivement. La mise en œuvre d’un projet d’une telle envergure requiert des interventions ciblées tout en maximisant la diversité!

La crise climatique en un mot

La crise climatique est l’un des défis majeurs de notre siècle. Depuis l’ère préindustrielle, la température globale moyenne a augmenté d’environ 1°C, une augmentation attribuée aux gaz à effets de serre (GES) dont l’effet est d’emprisonner la chaleur dans l’atmosphère. Bien qu’ils y soient naturellement présents, la hausse de la concentration des GES, particulièrement le CO2, est fortement associée aux activités humaines.

Les effets des changements climatiques sont multiples. Les épisodes de sécheresse intense, les inondations et l’augmentation du niveau de la mer ne sont que quelques exemples des aléas climatiques que nous subissons au quotidien. Cette situation inquiétante soulevée par la communauté scientifique n’a pas laissé le choix aux gouvernements de s’engager à limiter le réchauffement climatique entre 1,5 et 2°C au-dessus des niveaux préindustriels. 

Les gaz à effet de serre dans le monde. Les principaux gaz à effet de serre et leur production en 2010, exprimée en tonnes équivalent CO2. 49 Gt : Énergie (35%), Industrie (18%), Transport (14%), Agriculture (14%), Déforestation (10%), Bâtiments (6%), Traitement Eau et déchets (3%); 37 Gt : Dioxide de carbone; 8 Gt : Méthane; 3 Gt : Protoxyde d'azote; 1Gt : Autres (Hexafluorure de soufre, Hydrocarbures perfluorés, Hydrofluocarbures, Trifluorure d'azote).
Les principaux gaz à effet de serre et leur production en 2010, exprimée en tonnes équivalent CO2. Image : Agence Idé

Le retour aux solutions basées sur la nature

Outre les efforts de réduction de GES, on assiste également à un retour en force des solutions basées sur la nature. Parmi celles-ci, les arbres jouent un rôle de première ligne grâce à leur potentiel de séquestration du carbone.

Pour l’être humain et beaucoup d’autres organismes vivants, le CO2 représente un déchet métabolique qu’ils relâchent dans l’environnement. Or, chez les végétaux, le CO2 sert de matière première à la construction des organes de structure et à la production d’énergie. Les arbres absorbent le CO2 atmosphérique au moyen d’organes spécialisés que sont les feuilles et les stomates. Grâce à l’énergie lumineuse captée par la chlorophylle, le carbone ainsi absorbé subit une série de réactions chimiques et participe à la construction des arbres. Une fois stocké dans leur partie ligneuse, le carbone peut y demeurer pendant des années, voire des siècles!


La forêt et le cycle du carbone

«Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme»

— Antoine Lavoisier

Le carbone, comme tout autre élément, est présent en quantité fixe dans la biosphère. Il subit pourtant de nombreux changements de forme ainsi que des échanges entre les constituants terrestres, atmosphériques et océaniques.

Au sein des écosystèmes terrestres, les forêts font partie des principaux moteurs de ce cycle. Par la photosynthèse, les arbres fixent le carbone inorganique pour le convertir sous forme organique. Celui-ci est éventuellement disponible comme source d’énergie pour les consommateurs. Alternativement, un retour à la forme inorganique est aussi possible par les processus de photorespiration et de décomposition.

Considérant ces échanges complexes entre les arbres et leur environnement, les écosystèmes forestiers peuvent altérer les concentrations de CO2 dans l’atmosphère. Si la quantité totale de carbone fixé par la photosynthèse est supérieure à celle émise par photorespiration et la décomposition, la forêt se comporte comme un puits de carbone. Si les émissions de carbone sont plus élevées, la forêt est plutôt vue comme une source.


Quoi planter?

Bien que tous les arbres stockent du carbone au cours de leur vie, le potentiel de cette séquestration diffère d’une espèce à l’autre. Pour Christian Messier, chercheur à l’Université du Québec à Montréal, l’équation est simple: ce potentiel dépend de la vitesse de croissance et de la densité du bois. 

Étant donné leur croissance accrue, les jeunes forêts ont un meilleur potentiel de séquestration du carbone. Celles-ci sont donc considérées comme de réels puits de carbone alors que les forêts plus vieilles représentent plutôt des réservoirs. Aussi, relativement à la densité du bois, les arbres avec un bois dense stockent plus de carbone. Celle des feuillus est généralement deux fois plus importante que celle des conifères, comme le confirme Christian Messier. Ainsi, bien que la croissance d’un érable à sucre est plus lente que celle d’une épinette, sa capacité de fixation est largement supérieure.

Christian Messier nous rappelle aussi que la longévité des arbres est un facteur important de  l’efficacité des forêts à stocker le  carbone: certains arbres peuvent croître très rapidement, mais ne pas vivre suffisamment longtemps pour assurer la conservation du carbone emmagasiné. Dans une optique de lutte contre les changements climatiques, cette relation entre la croissance et la capacité de séquestration du carbone des arbres est intéressante en ce sens:


«On doit faire une transition pétrole-non pétrole dans les 60 prochaines années. […] C’est là où les arbres peuvent jouer un rôle, car ils vont fixer beaucoup de carbone entre 30 et 60 ans, juste dans la période où, plus on va fixer du carbone, plus ça nous donne du temps pour faire cette transition.»

— Christian Messier


Photo : Valérie Di Maurizio

L’importance de la diversité

La plantation massive d’arbres requiert quelques précautions, notamment à l’égard de la diversité des espèces plantées. «La diversité, dit Christian Messier, favorise la résilience des forêts face aux changements climatiques et aux changements globaux». Utilisant l’analogie du portefeuille équilibré, il suggère que l’investissement dans de nombreuses espèces assure la stabilité d’une forêt de la même manière que l’investissement dans plusieurs disciplines assure la stabilité des finances.

Inversement, les monocultures sont plus vulnérables aux feux de forêt, aux insectes ravageurs et aux maladies exotiques. Par exemple, la fréquence et l’intensité des feux dans les forêts composées de conifères et de feuillus seraient moindres que chez celles composées uniquement de conifères. Les conifères brûlent dix fois plus rapidement que les feuillus et, au sol, les épines sont également d’excellents combustibles.

Or, l’inquiétude première de Christian Messier concerne les insectes ravageurs et les maladies exotiques. «Près de nous, explique-t-il, la maladie hollandaise de l’orme, l’agrile du frêne ont déjà fait beaucoup de dégâts […] et, bientôt, le longicorne asiatique pourrait causer la perte de l’espèce emblématique du Québec, l’érable».

Longicorne asiatique perché sur une feuille verte. Photo : Kyle T. Ramirez/CC

Pour aller plus loin, Jérôme Dupras, chercheur à l’Université du Québec en Outaouais, souligne que les diversités fonctionnelle et génétique sont extrêmement importantes à la résilience de nos forêts et de nos infrastructures vertes. Plus la variabilité génétique et entre les traits fonctionnels des organismes est grande, plus leurs chances de réagir différemment aux perturbations sont élevées. «Malgré cela, déplore ce dernier, les forêts naturelles et urbaines ne semblent pas tellement diversifiées».

La foresterie, un allié potentiel ?

Les techniques forestières actuelles ne reflètent pourtant pas l’état de ces connaissances. La diversité des arbres dans les grandes plantations, et même en ville, est très faible.


Le saviez-vous?

Depuis le 17e siècle, l’hybridation entre les arbres est un phénomène assez répandu. Cette pratique vise à reproduire des cultivars ayant des qualités dites supérieures. Pour pousser cette idée à l’extrême, on va même jusqu’à cloner les meilleurs individus. À partir d’une seule semence, un nombre presque infini d’arbres peuvent être obtenus par embryogenèse somatique. Seulement en 2018, près d’un million d’épinettes blanches génétiquement identiques ont été plantées dans le Bas-Saint-Laurent et la Gaspésie!

En milieu naturel, certains hybrides ont le potentiel de se reproduire avec des espèces génétiquement semblables et d’engendrer une descendance fertile. Au fil du temps, la fécondation croisée peut mener à la perte de l’identité génétique des espèces indigènes. 

Ultimement, ces pratiques mènent à l’homogénéisation des individus et des espèces et, donc, à la diminution de la diversité génétique des arbres.


Pour favoriser la résilience de nos forêts, Christian Messier soutient qu’il pourrait être bénéfique de faire de la migration assistée. Considérant que les changements climatiques influencent déjà les aires de distribution des arbres du sud vers le nord, l’idée est d’accélérer un processus qui normalement s’échelonnerait sur une plus grande échelle de temps. Grâce à la migration assistée, il serait possible d’introduire des espèces désormais compatibles avec les conditions environnementales ayant des traits absents des communautés actuelles, tels la tolérance à la sécheresse ou à certaines maladies.


«Actuellement, au Canada et aux États-Unis, 99% des espèces qu’on plante sont des conifères, des pins, des épinettes et des sapins et ça brûle. […] Le climat a changé, les risques ont changé, donc c’est peut-être le temps d’adapter nos forêts aux risques qui s’en viennent»

— Christian Messier


«On pourrait « vacciner » notre territoire en ayant des interventions ciblées qui vont venir préserver tout le reste, parce que s’il y a des perturbations comme on pense qu’il va y avoir, les forêts vont pouvoir se régénérer naturellement» avance Christian Messier.

D’une part, des coupes ciblées pourraient être effectuées afin de briser l’homogénéité des forêts  et, d’autre part, l’augmentation de corridors verts pourrait faciliter la dispersion des graines et la recolonisation par différentes espèces.

Toutefois, il ne suffit pas de planter des arbres et de s’en féliciter. Benoît Tendeng, chargé de projet en conservation chez la Société pour la nature et les parcs Canada (SNAP), indique que même si ce n’est pas une pratique courante en raison des coûts considérables, le suivi des plantations est essentiel car le taux de survie des jeunes arbres est relativement faible.

Où planter?

Tous s’entendent pour dire que le potentiel de séquestration du carbone n’est pas partout le même. La ceinture équatoriale est définitivement la zone la plus optimale. Cela est particulièrement le cas de la forêt tropicale, où la croissance des arbres est favorisée par la fertilité du sol. «Là-bas, nous dit Christian Messier, on peut avoir de la croissance de 2 mètres et demi par année. On y trouve des espèces comme le teck qui, étant donné leur vitesse de croissance, ont le potentiel de fixer beaucoup de carbone».

Image : LUCID portal | Leaflet | Map data © OpenStreetMap contributors, CC-BY-SA, Basemap imagery © Mapbox, Avitabile et al., 2016, Avitabile et al., 2014, Santoro et al., 2015
Dans les savanes, le carbone est surtout stocké dans les organes souterrains des plantes herbacées. Photo : Pixabay/pexels.com/CC0

En revanche, certains biomes seraient plutôt à proscrire. En effet, dans le dernier rapport du GIEC, il est soutenu que la plantation sous les hautes latitudes des régions boréales pourrait plutôt exacerber le réchauffement climatique. Contrairement à un sol nu ou recouvert de neige dont l’albédo est élevé, la plantation d’arbres diminue le pouvoir réfléchissant de la lumière en raison de la couleur foncée de la végétation. Cela a comme effet d’augmenter la température, ce qui pourrait contrecarrer les effets de la fixation du CO2 par les arbres.

exelsPour Julie Aleman, chercheuse en géographie et en paléoécologie de l’Université de Montréal et de l’Université du Texas, l’exploitation du potentiel de séquestration du carbone par les arbres passe surtout par la restauration des écosystèmes. Cette dernière nous rappelle qu’il n’y a pas seulement les forêts qui jouent un rôle important dans la séquestration du carbone, mais aussi d’autres types d’écosystèmes comme les prairies et les savanes. Bien que la biomasse aérienne (tronc, tige, feuilles) des arbres ait un potentiel de fixation du CO2 important, la biomasse souterraine, soit les racines, séquestre également du carbone, une stratégie que l’on retrouve chez les herbacées de ces milieux. Spécialiste des savanes, Julie Aleman défend aussi qu’au sein de ces écosystèmes, les perturbations naturelles comme les feux sont nécessaires au maintien de l’équilibre dynamique. Il est donc assez risqué de planter des arbres dans ces zones, les feux pouvant alors devenir beaucoup plus importants que dans les écosystèmes ouverts que sont les savanes. 


L’eucalyptus…

En Afrique, comme rapporte Julie Aleman, la majorité des espèces d’arbres qui sont plantés sont des pins et des eucalyptus, des espèces non endémiques. Or, cette pratique a des répercussions désastreuses sur les écosystèmes : les eucalyptus y sont responsables de l’acidification du sol et utilisent à eux seuls toutes les réserves d’eau des nappes phréatiques.


La conservation des milieux naturels existants peut jouer un rôle aussi important, voire supérieur, à la plantation d’arbres. C’est le cas des tourbières qui représentent des puits de carbone importants en raison de la décomposition naturelle quasi nulle de la matière organique. Selon des estimations gouvernementales, les tourbières du Québec permettraient de stocker 2 400 000 tonnes de carbone par année!


Le saviez-vous?

Les forêts urbaines peuvent fournir une multitude de services, comme la modération du climat, la réduction du bruit, le contrôle du ruissellement pluvial, un milieu de loisirs, un habitat pour la faune ainsi que des bienfaits psychologiques.


Par ailleurs, les projets de plantation d’arbres doivent également conjuguer avec la dimension historique des écosystèmes et l’histoire évolutive des espèces qui y vivent. Cette modification du milieu pourrait mettre en péril une panoplie d’espèces végétales et animales étant naturellement présentes dans certains écosystèmes comme les savanes. «Par exemple, dans le Serengeti, on retrouve les grands herbivores de savanes […]. Mais au final, si on plante des forêts là-dedans, on va perdre le fonctionnement écologique et donc des espèces», affirme Julie Aleman.


Les géants verts de notre quotidien

Photo : Gene.arboit/CC

Bien que les arbres nous offrent une multitude de biens et services écosystémiques, ces derniers peuvent également nous fournir des disservices. Dans un contexte urbain, les stress auxquels les arbres sont exposés sont multiples. En réponse à un stress, les plantes libèrent des composés organiques volatiles (BVOCs), comme les isoprènes et les terpènes. Or, en présence de lumière, les BVOCs réagissent avec l’oxyde d’azote, très présent en ville, pour former l’ozone (O3), une substance associée aux problèmes respiratoires chez l’humain. En plus d’être nocif pour l’humain, l’ozone amplifie la réaction de stress des arbres et contribue à alimenter sa propre formation.

Aussi, il est maintenant bien connu que le pollen de certaines espèces, comme les érables et les peupliers, peut exacerber les symptômes des allergies. L’augmentation de la température, prévue comme conséquence des changements climatiques, aurait également comme effet d’accroître la production et le potentiel allergène du pollen.


Vers une approche territoriale intégrée

Pour Jérôme Dupras, il faut migrer de la solution unique à des solutions adaptées. L’idée est d’adopter une approche territorialisée en intervenant à différentes échelles. Dans une ville, les pressions et les solutions sont différentes qu’en nature. En milieu urbain, par exemple, on plante des arbres pour réduire les îlots de chaleur, améliorer la qualité de l’air, favoriser la biodiversité et embellir notre quotidien. Or, Jérôme Dupras affirme que la ville n’est pas le lieu par excellence pour la séquestration de carbone. En effet, selon un article récemment publié dans l’International Society of Arboriculture (ISA), les arbres urbains ont une longévité très faible d’environ quinze ans. En plus d’être soumis à des pressions environnementales particulières à la ville comme le compactage des sols et la faible disponibilité en nutriments, ces arbres font aussi l’objet de pressions anthropiques comme le vandalisme. «Ceci est sans considérer que dans une ville comme Montréal, plus de 80% du territoire disponible pour la plantation d’arbres se trouve sur des terrains privés. Il y a donc beaucoup de travail de sensibilisation à faire afin de favoriser la participation citoyenne», ajoute Dupras.

Photo : Alliance Autochtone du Québec

Toujours selon lui, les solutions envisagées dans la lutte aux changements globaux doivent composer avec le contexte géographique, physique et humain. Sinon, malgré nos bonnes intentions, nous risquons de nous retrouver dans une situation de colonialisme environnemental. Certaines communautés, comme les autochtones au Québec, vivent en étroite relation avec leur environnement et en dépendent autant culturellement qu’économiquement. La transformation de leur territoire pourrait diminuer la disponibilité des ressources, menaçant leur sécurité alimentaire et exacerbant les iniquités sociales. De même, Julie Aleman, explique que ce sont souvent les pays en développement qui sont ciblés pour augmenter la séquestration de carbone. «On va encore aller modifier les écosystèmes là-bas pour pouvoir compenser nos propres émissions de carbone», nous dit-elle, ce qui soulève un problème éthique important.

Bref, la plantation massive d’arbre a un réel potentiel de séquestration du carbone lorsqu’elle est effectuée de la bonne manière et au bon endroit. Cependant, il serait peut-être plus prudent d’orienter le discours vers la restauration et la conservation plutôt que vers la plantation à elle seule. Tel que le mentionne Jérôme Dupras, l’idée de planter des arbres afin de compenser nos émissions de carbone demeure une solution de fin de ligne. Nous rappelant les fondements du développement durable, ce dernier soulève l’importance d’éviter d’exploiter les ressources et de minimiser leur utilisation avant de se tourner vers la compensation. Or, «le problème, dit-il, c’est que présentement la discussion, autant politique que corporative ou individuelle, ne se fait qu’au niveau de la compensation». Ainsi, bien que la plantation d’arbres soit une des manières de diminuer notre empreinte écologique, serons-nous capables de nous attaquer aux véritables racines du problème?