Le virus de la rage, dissimulé sous les tropiques ?

Auteur(es): ÈVE COMEAU, CHARLES MONTPETIT, THIERRY MOUROCQ ET ROMY SEMINARO

Lundi, le 9 octobre 2017, un jeune garçon de 10 ans vivant en Rhône en France est diagnostiqué avec la rage par l’Institut Pasteur de Paris. Cette histoire commence en août 2017 lorsqu’il est en voyage, avec ses parents, au Sri Lanka pour les vacances d’été. Le jeune garçon se fait mordre sur une plage par un chiot, mais la famille de celui-ci ne se sent pas trop inquiétée par la situation. À son retour en France, après avoir côtoyé bon nombre d’enseignants et d’élèves en raison de la rentrée scolaire, le garçon remarque une détérioration rapide de sa santé et est transporté d’urgence à l’hôpital le 4 octobre 2017. Il meurt le 17 octobre et une soixantaine de personnes, dont des membres de la famille de l’enfant, des élèves et du personnel de son école, ont depuis été vaccinées contre la maladie. Estce que les voyageurs canadiens devraient être plus alertes quant à la possibilité de contracter le virus de la rage lorsqu’ils sont à l’étranger? D’une part, il est nécessaire de comprendre quelles sont les particularités du virus de la rage et, d’autre part, bien que le scénario du petit garçon soit rare et que les cas de rage humaine et animale sont presque inexistants dans les pays occidentaux, n’importe quel voyageur est susceptible de faire face à ce genre de situation lorsqu’il ou elle voyage dans certains pays orientaux.

QU’EST CE QUE LA RAGE?

Tout comme l’Ebola, l’influenza et même le SARS-CoV-2, la rage est une zoonose. Il s’agit d’une maladie qui se transmet d’un animal à l’autre et qui peut aussi être transmise aux humains et vice-versa. Au Canada, les animaux sauvages les plus susceptibles d’être contagieux et de transmettre le virus à l’homme sont les ratons laveurs, les renards et les chauves-souris. Il est à noter que la plupart des cas humains sont le résultat d’une exposition avec un animal domestique, comme le chien, qui a préalablement été infecté par un animal sauvage porteur. Il n’est pas rare chez les animaux sauvages que ceux-ci se nourrissent de carcasses. Ce mode de vie et certaines autres habitudes augmentent considérablement leurs risques d’exposition au virus de la rage, indique le Gouvernement du Québec.

Théoriquement, la situation au Canada est similaire à celle en France, c’est-à-dire qu’un nombre infime de cas est répertorié chaque année. Alors qu’elle était inquiétante avant les années 2000, il est possible de constater que la situation de la rage au Canada, surtout chez les animaux sauvages, est majoritairement sous contrôle. Entre 2016 et 2021, une diminution des cas d’infection répertoriés a été observée, et ce, pour la majorité des espèces animales à risque. Malgré cette diminution à grande échelle, le Gouvernement du Canada a constaté une baisse significative davantage chez le renard roux et le raton laveur. En 2021, les espèces les plus infectées par la rage étaient la moufette (27 cas) et la chauve-souris (51
cas). Plusieurs projets d’immunisation ont lieu, à l’aide d’appâts contenant des vaccins, dans les régions du pays où certaines espèces semblent plus affectées par la rage. Pour plusieurs espèces, les cas de rage sont en baisse depuis l’élaboration de ces projets d’immunisation. Cependant, il n’est pas toujours possible d’éradiquer la rage chez certaines espèces, car le mode d’action du virus n’est pas encore parfaitement compris par les experts.

La situation est cependant largement différente dans d’autres parties du monde. L’Asie, incluant le Sri Lanka, où le petit garçon est parti en voyage, ainsi que plusieurs pays africains sont aux prises avec des quantités importantes de cas de rage, et ce, avec beaucoup moins de ressources que les pays occidentaux pour gérer les populations animales sauvages contaminées. Selon la journaliste Aurélie Franc dans son article « La Rage : comment se protéger contre cette maladie? », chaque année, le nombre mondial de décès causés par la rage s’élève en moyenne à 59 000, dont 99 % se retrouvent dans les zones mentionnées.

LA GRAVITÉ DE LA MALADIE

La rage, est-ce si grave? Il est important de prendre en considération que cette maladie est mortelle dans la quasi-totalité des cas. Un facteur expliquant sa pathogénicité élevée est sa capacité à voyager dans le système nerveux de son hôte. Ceci lui permet d’éviter l’activation du système immunitaire et donc l’apparition de symptômes d’infection. Si le système immunitaire n’est pas en fonction, cela signifie que les mécanismes de défense de l’organisme ne sont pas activés pour détruire le virus. De plus, le virus de la rage ne créant initialement pas de symptômes, il n’y a pas d’indices permettant de suspecter le stade primaire de la maladie. Pour cette raison, les individus infectés se rendent à l’hôpital ou demandent de l’aide généralement trop tard, puisque la maladie a déjà fait des dommages trop importants

COMMENT CET «AGENT INFECTIUEUX» VOYAGE-T-IL DANS LE CORPS?

Prenons l’exemple du petit garçon. En jouant avec le chiot, le jeune garçon s’est fait
mordre. La salive contaminée de l’animal est alors entrée dans sa plaie. Les particules virales présentes dans la salive ont alors pu se déplacer via les nerfs jusqu’au cerveau à partir du lieu de contact entre la salive et la blessure. Les particules virales peuvent se rendre au cerveau soit directement, soit en séjournant dans les muscles avant de se diriger vers les mêmes nerfs qu’elles auraien tsuivis dans le premier cas. Il est important de noter que le scénario aurait été tout aussi possible si le chien avait simplement léché une plaie. Une fois cette étape franchie, les particules virales se sont déplacées d’un neurone à l’autre en direction du cerveau. Lors de son transport, le virus se déplace d’un neurone à l’autre à l’aide d’une capsule, et ce, à une vitesse de 8 à 20 millimètres par jour. En général, la progression de ce « voyage » est lente et variable d’un individu à l’autre, soit de « quelques semaines, voire quelques années », comme l’indique le Docteur André Ravel, professeur à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal.

Donc, même si les symptômes n’apparaissent que plusieurs jours à la suite de la transmission du virus, l’hôte, ici le petit garçon, est malheureusement déjà infecté bien avant que les symptômes apparaissent, donc avant même d’être revenu chez lui en France.

Une fois les particules virales arrivées au cerveau, elles s’y sont multipliées. Par conséquent, les cellules infectées ont été détruites, provoquant ainsi une inflammation du cerveau, communément appelée encéphalite. C’est à ce moment que la santé du garçon a commencé à se détériorer et qu’il est allé à l’hôpital. Il est important de comprendre que le virus se multiplie aussi dans les glandes salivaires, expliquant sa présence dans la salive du vecteur de transmission, ici le chiot.

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec, la manifestation clinique de la rage chez l’homme peut se présenter sous deux formes : la forme furieuse (classique, plus « clichée»), représentant 80 % des infections, et la forme engourdie (non classique ou dite « paralytique »), représentant 20 % des infections.

LA FORME
ENGOURDIE

La forme engourdie de la rage se caractérise par une
faiblesse et une paralysie flasque, entraînant parfois
une erreur de diagnostic au début de la maladie.

LA FORME
FURIEUSE

La forme furieuse de la rage se caractérise par une
hydrophobie (peur de l’eau) et une excitation des muscles
larynx et du pharynx, causant ainsi des spasmes lorsque le
patient souffrant veut boire. On note fréquemment des
épisodes d’hallucinations et d’excitation.

L’historique médical du petit garçon étant confidentiel, il nous est impossible de connaître exactement comment son état s’est détérioré. Par contre, puisque les symptômes sont similaires entre les individus infectés, nous pouvons émettre une hypothèse sur ce qu’il lui est arrivé.

En général, les premiers symptômes d’une infection sont légers et variés, soit les céphalées (douleur à la tête, au crâne, cou et/ou au visage), la fièvre et les vomissements. De plus, une alternance de périodes d’agitation et de calme est habituellement remarquée. Par la suite, il est possible d’observer des spasmes musculaires de la bouche et du pharynx, et ce, accompagné d’anxiété, de confusion, d’insomnie, d’hallucinations, de sensibilité à la lumière et au bruit ainsi qu’une hyperactivité. En addition, on remarque dans la plupart des cas une hypersalivation, un signe classique de la rage. Lorsque la paralysie apparaît, le réflexe de déglutition est difficile en raison d’un spasme laryngopharyngé, augmentant ainsi le flux salivaire. Une fois cette étape franchie, le pronostic est rarement supérieur à sept jours.

Malgré de nombreuses recherches sur le virus de la rage, le mécanisme par lequel l’infection provoque une maladie mortelle n’est pas complètement élucidé. Les patients meurent avec seulement de légères lésions dans le cerveau et sans perte significative de neurones. En revanche, les changements comportementaux survenant à la suite de l’infection semblent indiquer que le virus affecte majoritairement les structures associées au système limbique, responsable des émotions et de la motivation.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les voyageurs dans les pays et les régions exposés à la rage doivent éviter tout contact avec les animaux errants, par exemple les chiens, les chats et les singes. Si un contact a lieu, la personne concernée devrait prendre les précautions suivantes :

Se laver la plaie, à la suite d’un contact avec un animal errant ou sauvage, avec de l’eau et du savon pendant 15 minutes, ainsi qu’avec un antiseptique;

Contacter dans les plus brefs délais un centre antirabique pour une évaluation rapide du risque d’infection de l’animal avec lequel il y a eu un contact et du degré d’exposition relativement à celui-ci. Selon la situation, un traitement de prophylaxie post-exposition est nécessaire pour prévenir la maladie.

Si le jeune garçon avait suivi ces étapes, il serait probablement encore parmi nous pour en parler.

Un traitement de prophylaxie comprend toutes les méthodes pouvant être utilisées pour empêcher l’apparition, l’aggravation ou l’extension des maladies. Un exemple concret est la vaccination. Dans le cas de la rage, la prophylaxie post-exposition comprend tous les moyens qui peuvent être mis de l’avant pour limiter ou empêcher les effets du virus de la rage à la suite de sa transmission. Il existe trois scénarios principaux de prophylaxie post-exposition. L’état de vaccination préexposition contre la rage chez la personne contaminée permettra d’identifier quel scénario sera choisi.

Dans le cas du petit garçon, un cas de catégorie III puisqu’il n’avait pas reçu le vaccin contre la rage avant son voyage au Sri Lanka, la prophylaxie post-exposition de celui-ci aurait comporté une administration d’immunoglobulines antirabiques sur la plaie et quatre doses, à quelques jours d’intervalle, de vaccins antirabiques sous forme d’injection près de la plaie. Si le petit garçon avait été adéquatement vacciné contre la rage avant son voyage, c’est-à-dire un cas de catégorie II, seulement deux doses à quelques jours d’intervalle de vaccins antirabiques sous forme d’injection près de la plaie auraient représenté la prophylaxie post-exposition.

Finalement, dans un cas de catégorie I, où le garçon aurait été vacciné avant son voyage et que le contact avec l’animal n’aurait pas représenté un grand risque d’exposition, le simple lavage de la zone de la plaie, de la manière présentée plus haut, aurait été suffisant.

PROPHYLAXIE POST-EXPOSITION

Donc, malgré le fait que la situation de la rage au Canada soit maîtrisée, ce n’est pas une situation universelle, surtout dans les pays d’Asie et d’Afrique où cette maladie est encore un problème de taille. Si vous êtes voyageur, n’hésitez surtout pas à consulter une clinique de santé-voyage lorsque vous pensez aller à l’extérieur du pays pour déterminer les risques liés à la rage.