Nouvelle viande, mêmes enjeux ?

Auteur(es): SARAH VIGEANT, HENDRICK PAQUETTE-AMBROISE, PATRICE LÉVEILLÉ ET VINCENT BLOUIN

Avec l’arrivée d’une grande quantité de gammes de viande végétale, telle la populaire marque Beyond Meat en 2019, les végéburgers sont très appréciés auprès des Canadiens. Pour la majorité des consommateurs, le changement vers une diète « flexitarienne » est généralement motivé soit par des facteurs nutritionnels, soit par les enjeux climatiques actuels. D’ailleurs, les entreprises le savent et ciblent ces critères dans la majorité de leurs campagnes de marketing, ce qui tend à biaiser les acheteurs. Mais les viandes végétales sont-elles réellement meilleures pour la santé et pour l’environnement que les viandes animales? En raison de l’expansion croissante du marché des fausses viandes, plusieurs études s’intéressent à l’empreinte de carbone impliquée dans la production des produits de viandes alternatives par rapport aux viandes animales. Également, vu le haut niveau de transformation alimentaire nécessaire pour mimer le goût et la texture de la viande animale, la viande végétale ne serait pas nécessairement plus riche en nutriments que la viande animale, et donc n’est pas réellement un choix plus santé.

UN BURGER AUX MILLES QUESTIONNEMENTS

Au cours des dernières années, de plus en plus de Québécois ont opté pour un changement dans leur alimentation en y introduisant de fausses viandes de type Beyond Meat. Étant offerts à des prix abordables et largement popularisés à travers les médias, ces produits séduisent le public puisqu’ils sont affichés comme étant meilleurs pour la santé et l’environnement. Ainsi, plusieurs consommateurs ont choisi de se tourner vers une diète « flexitarienne », aussi appelée semi-végétarisme, dans le but de réduire leur consommation de viandes animales. Les fausses viandes sont des aliments constitués de végétaux, souvent à base de soya ou de pois, et visent à imiter le goût, la texture ainsi que l’apparence visuelle de la viande. Vu la tendance née autour des viandes alternatives, la communauté scientifique s’intéresse de plus en plus à savoir si les bienfaits évoqués dans les campagnes de marketing des compagnies sont véridiques.

De ce fait, un questionnement principal s’impose: les viandes végétales sont-elles réellement plus saines et écologiques? En se fiant aux allégations des grandes compagnies, il peut devenir difficile de répondre à ces interrogations. D’un côté, la majorité des entreprises affirme qu’une alimentation végétale est moins nocive pour la santé à long terme puisqu’elle est moins riche en cholestérol et en gras que la viande rouge animale. D’un autre côté, les compagnies soutiennent que la production de fausse viande est moins dommageable pour l’environnement en comparant l’émission de gaz carbonique et l’utilisation d’eau nécessaire pour l’élevage de bétail. Quoi qu’il en soit, il est important de mentionner qu’aucun aspect en lien avec le bienêtre animal ainsi que l’aspect économique ne seront abordés dans le cadre de cet article.

JOSEPH DE LEO /EPICURIOUS.COM

LA VIANDE VÉGÉTALE OUVRE- T- ELLE RÉELLEMENT L’APPÉTIT DES QUÉBÉCOIS?

Dans le but d’établir un portrait global des habitudes de consommations et des connaissances générales des Québécois sur les viandes végétales, nous avons réalisé un sondage auprès de 200 personnes de tranches d’âge différentes. Parmi les répondants, 52 % ont affirmé consommer des viandes végétales, et 16 % en consomment une à trois fois par semaine. De plus, le prétexte pour lequel certains d’entre eux affirment ne pas en consommer est principalement parce qu’ils n’ont jamais testé les produits ou parce que leur prix est trop élevé. De manière générale, les gens sondés pensent que, du point de vue nutritionnel, les viandes végétales sont des choix similaires à la viande animale. Cependant, ceux-ci estiment que les viandes végétales sont plus écologiques. Selon ce même sondage, seulement 23 % des gens ont déjà effectué des recherches pour comparer les deux. Globalement, ces résultats permettent d’estimer l’intérêt, les motivations et le niveau de connaissance des Québécois quant à leur consommation de substituts de viande.

VÉGÉTARIEN NE RIME PAS AVEC MEILLEUR POUR LA SANTÉ

Une des croyances populaires sur l’alimentation est basée sur le fait que l’adoption d’un régime végétarien est bénéfique pour la santé. Cette réflexion a poussé une multitude de chercheurs à approfondir le sujet, démontrant un lien entre ce type d’alimentation et certains bienfaits nutritionnels. D’un autre côté, la consommation de viande rouge a fortement été pointée du doigt et décrite comme ayant la capacité d’engendrer une multitude de maladies telles que des maladies cardiovasculaires ou des cancers. Même si les études ne montrent pas de lien direct entre la consommation de viande et ces problèmes de santé, il est admis que d’en réduire sa consommation pourrait être favorable pour la santé.

« On réalise que les gens qui consomment des aliments ultratransformés sont en moins bonne santé sur plusieurs paramètres nutritionnels comparativement à ceux qui en mangent moins. »
– Bernard Lavallée, nutritionniste urbain

Selon Bernard Lavallée, nutritionniste et auteur du livre Sauver la planète, une bouchée à la fois, aussi connu sous le nom du Nutritionniste urbain, ces croyances ne sont pas étonnantes. En effet, jusqu’à tout récemment, être végétarien n’était pas aussi simple et impliquait une grande assiduité sur le plan culinaire afin de préparer des repas complets et diversifiés. Cela dit, une des raisons principales pour lesquelles le mode d’alimentation végétarien est bénéfique est parce qu’il implique une plus faible consommation d’aliments ultratransformés. « On réalise que les gens qui consomment des aliments ultratransformés sont en moins bonne santé sur plusieurs paramètres nutritionnels comparativement à ceux qui en mangent moins », affirme monsieur Lavallée en faisant référence au système de classification des aliments NOVA, qui regroupe les aliments selon quatre catégories afin de leur attribuer un indice de qualité nutritionnelle.

LE SYSTÈME DE CLASSIFICATION NOVA, C’EST QUOI?

Il s’agit d’une méthode de classification des aliments développée par Carlos Monteiro dans les années 2010, au Brésil, lors de la mise en place du guide alimentaire brésilien. Cette méthode est aujourd’hui reconnue dans plusieurs pays du monde.

DES BURGERS PLUS VERTS ?

L’industrie alimentaire est connue comme étant particulièrement énergivore. Elle
exploite une très grande quantité de ressources environnementales comme l’espace, l’eau et d’autres éléments impliqués dans le processus de production ou de transformation des aliments. D’après les travaux de Ritchie et Roser, ce secteur utilise mondialement 50 % des terres habitables, 70 % des eaux douces et 30 % de l’énergie. De cette énergie, selon une étude publiée en 2018 par Holden et collaborateur, la proportion non renouvelable représente de loin la majorité, avec un pourcentage de 79 %, et les énergies vertes ne sont impliquées que dans une petite partie des processus.

Un regard plus précis sur la proportion des terres agricoles dédiées à l’industrie de l’élevage et à l’agriculture révèle que la plupart d’entre elles sont consacrées au bétail, et que celui-ci n’apporte qu’une infime partie de la nourriture mondialement. En observant la quantité de céréales nécessaires pour produire un kilogramme de bétail d’origines variées, des questionnements écologiques s’imposent. En d’autres mots, les animaux consomment-ils plus de ressources alimentaires et énergétiques qu’ils réussissent à en donner en retour? Étant donné la multitude de facteurs environnementaux à considérer pour mieux comprendre cette disparité, il peut s’avérer complexe d’y répondre.

De ce fait, afin d’établir un profil complet comparant les répercussions environnementales de la consommation de viande végétale par rapport à la viande animale, tous les facteurs doivent être pris en compte. C’est pourquoi il est possible de se tourner vers la méthode d’étude du cycle de vie, modèle analytique incluant une caractérisation précise des impacts écologiques associés à différents produits sur le marché.

L’ANALYSE DU CYCLE DE VIE,
UN BILAN MULTICRITÈRE !

Il s’agit d’une représentation basée sur les notions du CIRAIG des étapes considérées lors de la détermination des bilans énergétiques dans l’étude du cycle de vie d’un produit. Cette méthode analytique telle qu’on la connait voit le jour en Europe dans les années 90. Dans une perspective de développement durable, celle ci est développée afin de regrouper les informations écologiques d’un produit pour pouvoir le comparer et prédire le risque qu’il représente pour l’environnement.

Vivre en ville.org

L’étude du cycle de vie est une méthodologie qui évalue précisément le bilan écologique de produits spécifiques. En effet, il s’agit d’une analyse qui comprend la demande en énergie, le relâchement de gaz à effet de serre, le potentiel d’eutrophisation, la demande en eau, l’utilisation de l’espace sur la Terre, la menace à la biodiversité et plusieurs autres facteurs évalués dans la vie d’un produit. Ces éléments, associés à différentes étapes dans la vie d’un produit, soit de la production à la consommation, permettent de déterminer quels produits sont les moins dommageables et quelles sont les étapes ayant un grand impact sur l’environnement.

C’est d’ailleurs avec ce type d’analyse que de récentes études peuvent déterminer le potentiel d’un aliment à nourrir la population humaine de manière durable en minimisant les retombées environnementales. Il s’agit également de la méthode qu’utilise Dominique Maxime, chercheur au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG). « Ne se concentrer que sur les changements climatiques n’est que regarder qu’une fraction du problème et se cacher un œil pour ne pas voir la réalité de tous les autres enjeux », affirme monsieur Maxime en pointant du doigt le fait que l’émission de gaz à effet de serre (GES) est souvent médiatisée au détriment des autres facteurs environnementaux.

En ce qui concerne les fausses viandes, plusieurs compagnies comme BeyondMeat et MorningStar appuient une grande partie de leurs campagnes de marketing sur le principe que leurs produits sont largement plus écologiques que la viande animale. Pour attester cette différence, la compagnie BeyondMeat a effectué, en 2018, une étude du cycle de vie comparant une de leurs boulettes avec une boulette de bœuf du même poids sur le plan de la production de gaz à effets de serre, l’utilisation d’eau, l’utilisation de l’espace et de l’énergie pour chacune des étapes. Malgré les étapes supplémentaires pour parvenir à la boulette à base végétale, l’étude indique que celle-ci produit au total 10 fois moins de gaz à effet de serre, utilise 133 fois moins d’eau, 8 fois moins de surface terrestre et 2 fois moins d’énergie pour obtenir une même quantité de nourriture.

Une seconde étude datant de 2016 et réalisée par la compagnie de produits d’imitation de poulet et de burger MorningStar démontre des résultats de diminution de ressources similaires à la précédente. Celle-ci se distingue notamment par la considération de paramètres supplémentaires, dont l’eutrophisation et la toxicité touchant la faune. Bien que ces exemples d’analyse du cycle de vie des viandes végétales aient été réalisés par les entreprises elles- mêmes, leurs résultats sont corroborés par une multitude d’études indépendantes telles que celle réalisée en 2021 par Saerens et collaborateurs.

L’eutrophisation est le processus de vieillissement d’un lac caractérisé par l’accumulation de nutriments ayant pour conséquence d’amener des changements de l’écosystème aquatique.

Néanmoins, selon Dominique Maxime, il ne faut pas trop dénigrer l’élevage animal, en particulier celui des bovins. En effet, même si la majorité des terres cultivées pour alimenter le bétail sont constituées de monocultures, il existe tout de même une faible proportion d’agriculteurs écologiques qui favorisent les prairies naturelles et choisissent de garder leurs bêtes en pâturage libre. Dans ce type d’élevage, les vaches ont le rôle de maintenir les prairies, en agissant comme tondeuses naturelles! Les bonnes pratiques agroalimentaires, comme la culture de plantes vivaces telles que le trèfle ou la luzerne, participent à la fixation d’azote dans le sol et à la diminution de l’utilisation d’engrais azotés.

À l’heure actuelle, il n’existe pas de modèle scientifique pouvant prédire de façon juste et précise quels seraient les impacts futurs dans le cas où la majorité de la population diminuerait de plus de la moitié sa consommation de viande quotidienne. Cependant, la communauté scientifique s’entend pour dire que les retombées écologiques d’un changement vers une diète « flexitarienne » sont grandes et bénéfiques.

VACHES ÉLEVÉES EN PÂTURAGE LIBRE. PIER GAGNÉ

ALORS, LA VIANDE VÉGÉTALE EST-ELLE MEILLEURE?

La commercialisation massive de viandes alternatives et la montée en popularité de ces produits font en sorte que ceux-ci ne sont pas près de disparaître des tablettes d’épicerie. Le questionnement quant à savoir si les fausses viandes sont meilleures ou non est donc légitime, mais la réponse est à la fois oui et non. D’un point de vue environnemental, l’industrie des viandes alternatives affirme que ses produits sont plus verts et la communauté scientifique démontre que c’est bien le cas avec l’analyse du cycle de vie. Peu importe l’angle d’analyse choisi (contribution aux changements climatiques, atteinte à la biodiversité, occupation des sols, utilisation de l’eau, eutrophisation, etc.), la viande végétale demeure une solution à moindre impact. D’une perspective nutritionnelle, même si la distinction entre les deux types de produit est moins claire, des études indiquent que la viande végétale est moins santé. En effet, l’évaluation de la qualité d’un produit ne s’arrête pas à ses constituants et à sa métabolisation. La littérature récente en nutrition met en lumière une corrélation directe entre le niveau de transformation des aliments et les risques liés à la santé. Sur ce point, les produits de viande végétale ultra transformés ne peuvent donc pas être, aussi simplement, associés à une saine hygiène de vie.

À la lumière de ces recherches, une chose est sûre: les choix alimentaires d’une population ont un impact énorme sur la santé des individus et sur celle de la planète. L’alternative explorée dans ce texte ne représente qu’une partie de l’éventail des choix qui s’offrent aux consommateurs et cette offre risque de s’accroître avec les années. Qu’il s’agisse de viande cultivée en laboratoire, de pâturage écoresponsable, de viande d’insecte ou de viande faite à base de mycètes, l’étendue des impacts de ces choix est aussi variée que les choix eux-mêmes. La meilleure façon d’être un consommateur responsable reste de s’informer au-delà des campagnes publicitaires.


Remerciement à monsieur Bernard Lavallé ainsi qu’à Dominique Maxime qui ont accepté de nous accorder de leur temps pour répondre à nos questions d’entrevue!