Saumon transgénique: pour le meilleur et pour le pire?

Texte par : Maxime Capkun-Huot, Audrey Hubert, Frédérique Pelletier, Simon Thibodeau et Laura Zeppetelli.

Le Canada est devenu le premier pays à approuver la vente d’un animal transgénique destiné à la consommation humaine. Développé par la compagnie AquaBounty Technologies, le saumon AquAdvantage promet un meilleur rendement de production avec une empreinte écologique réduite sans aucun compromis sur sa sécurité et valeur nutritionnelle. Est-ce trop beau pour être vrai?

Vingt-trois ans après l’approbation de la première culture génétiquement modifiée en Amérique du Nord, plus de 60 % des Canadiens désapprouvent encore leur utilisation. Malgré un consensus des scientifiques et des organismes de santé mondiale sur leurs avantages potentiels et leur sécurité, le débat autour des organismes génétiquement modifiés (OGM) fait encore rage au sein de la population et de plusieurs organismes environnementaux. Au Canada, le soja, le maïs et le canola représentent environ 99% des cultures OGM. Bien que la majorité soit destinée à la consommation animale, il est possible de retrouver des produits dérivés et transformés dans les supermarchés tels que les farines, les fécules et les huiles. Depuis 2016, le Canada est devenu le premier pays au monde à approuver la vente d’un animal modifié génétiquement destiné à la consommation humaine: le saumon AquAdvantage (SAA). Développé par la compagnie AquaBounty Technologies, ce saumon transgénique promet une empreinte écologique réduite sans aucun compromis sur sa sécurité et sa valeur nutritionnelle. Pourtant, de nombreux groupes mènent actuellement de féroces campagnes contre sa mise en marché et en réponse à la polémique, plusieurs supermarchés tels que Wal-Mart, Sobeys et Loblaws refusent de le vendre sur leurs tablettes. Devrions-nous craindre le saumon transgénique?

Qu’est-ce que le saumon transgénique?

Deux saumons du même âge, celui en arrière-plan étant génétiquement modifié. Photo: AquaBounty Technologies

Bien que le SAA fût développé en 1989, le saumon transgénique suscite de l’intérêt chez la communauté scientifique depuis bien plus longtemps. En effet, plusieurs études concernant son utilisation dans une approche de réduction de l’impact environnemental ont été publiées depuis les années 70. Ces dernières font le lien entre une augmentation de la croissance des saumons et une utilisation plus efficace de leur nourriture avec une diminution des rejets dans l’eau et donc une baisse des impacts environnementaux. C’est de cette manière qu’AquaBounty se voit comme un précurseur de la mise en marché de saumons qu’il qualifie de «plus écologiques, performants et durables», et ce par une optimisation du rendement.

Par la technologie de modification génétique moléculaire, la transgénèse, AquaBounty a développé une souche de saumon présentant une croissance très rapide en comparaison avec le saumon de l’Atlantique sauvage (Salmo salar). La transgénèse est une technologie qui permet d’isoler une séquence d’ADN, soit le transgène, d’une espèce et de la transférer dans le génome d’une autre. Le SAA est un saumon de l’Atlantique sauvage ayant reçu un transgène consistant du gène de l’hormone de croissance du saumon Chinook (Oncorhynchus tshawytscha) couplé à une séquence promotrice isolée d’un gène de la loquette d’Amérique (Zoarces americanus). La séquence promotrice dans le transgène permet le contrôle de l’expression du gène de l’hormone de croissance du saumon Chinook. Les scientifiques ont choisi cette séquence spécifiquement chez la loquette d’Amérique car les gènes qu’elle contrôle sont continuellement exprimés contrairement à la région promotrice typique du saumon de l’Atlantique qui est seulement activée lors de conditions environnementales favorables. Par la micro-injection du transgène dans des œufs de saumon de l’Atlantique fertilisés, la nouvelle souche SAA secrète des hormones de croissance toute l’année, plutôt que seulement au printemps et à l’été. Ainsi, cette modification génétique permet aux saumons transgéniques d’atteindre la taille du marché plus vite que n’importe quelle autre espèce de saumon.

Processus de création de la souche de saumon transgénique SAA. Le saumon SAA à croissance rapide contient le gène codant pour l’hormone de croissance du saumon Chinook lié à la séquence promotrice d’un gène de la loquette d’Amérique. Image : Audrey Hubert.

Ces modifications génétiques ne sont pas les seules que subissent les SAA. AquaBounty assure également la stérilisation de tous les individus élevés dans les bassins par un procédé appelé  triploïdisation. Comme les humains, les saumons possèdent normalement deux paires de chromosomes hérités de chacun des parents. Il est possible de créer des œufs de poissons possédant trois paires de chromosomes en les soumettant à des pressions élevées. Pour ce faire, ils sont placés dans la chambre d’un piston activé par une presse hydraulique. Le matériel génétique additionnel ajouté aux œufs entraîne l’interruption du développement des ovaires chez les femelles, sans compromettre la croissance des autres tissus. Selon Santé Canada, ce processus de stérilisation par la triploïdie «ne soulève aucune inquiétude sur le plan toxicologique». La triploïdisation permet que tous les poissons élevés dans les bassins d’Aquabounty soient stériles et ne pourraient pas se reproduire avec l’espèce sauvage si elles étaient libérées dans l’environnement. De plus, étant donné que les mâles peuvent parfois produire du sperme malgré le traitement de triploïdisation, Aquabounty n’utilise que des femelles dans ses bassins. Aquabounty gère une colonie de ses saumons transgéniques dans une usine située à l’Île-du-Prince-Édouard ne servant qu’à produire des œufs stériles pour alimenter son usine de production de viande située au Panama.

Cette photo de 2010 fournie par AquaBountyTechnologies montre des œufs de saumon à l’écloserie de l’entreprise à Fortune, Île-du-Prince-Édouard, Canada. Photo : AquaBountyTechnologies/AP

Aquaculture terrestre!

Élevage en bassins d’eau circulante dans les installations terrestres. Photo: AquaBounty Technologies

Il est intéressant de mentionner qu’AquaBounty utilise une technologie de production en milieu terrestre dans des gros bassins de recirculation d’eau où les conditions sont hautement contrôlées, permettant de n’avoir aucun contact avec l’environnement. En comparaison avec les méthodes d’élevage traditionnelles de cages en mer, cette technologie permet d’optimiser les conditions de croissance et de gérer plus efficacement les déchets de production. Ainsi, AquaBounty vante son système d’aquaculture terrestre du SAA comme étant une technologie plus verte et plus efficace, offrant un meilleur rendement de production. En effet, bien que l’élevage traditionnel de saumons de l’Atlantique soit déjà une des plus efficientes en termes de rendement de production de viande, les SAA d’AquaBounty requièrent près de 25% de moins de nourriture que l’espèce sauvage pour leur production. L’aquaculture terrestre est considérée par plusieurs comme une solution au problème de surpêche dans les océans. Étant une alternative durable à la pêche commerciale, elle évite de puiser dans les stocks naturels de saumons sauvages et permet donc leur conservation. Malgré tous ces avantages environnementaux et économiques potentiels, AquaBounty et son saumon transgénique ne semblent toujours pas avoir gagné la confiance des consommateurs, en raison d’inquiétudes pour la santé humaine et pour l’environnement.

Le saumon transgénique AquAdvantage pose-t-il un risque pour la santé humaine?

En 2012, Santé Canada a débuté une période de consultation sur le SAA pour évaluer les potentiels risques associés à sa consommation. Les scientifiques employés ont conduit une étude approfondie afin de déterminer si le poisson rencontre les standards de santé le permettant d’être vendu au pays. Ces études comprennent entre autres une évaluation des propriétés nutritionnelles du saumon, de son potentiel allergène et de sa toxicité. Beaucoup d’inquiétudes soulevées par le public et les groupes non gouvernementaux relèvent de l’accessibilité aux études menées par Santé Canada et des protocoles mis en place dans ces dernières. On évoque notamment le manque de rigueur dans les recherches et l’utilisation d’échantillons trop petits. Selon le professeur Simon Lamarre, biologiste spécialisé en physiologie des poissons à l’Université de Moncton, le SAA n’est aucunement un risque pour la santé humaine. Il explique: «AquaBounty a été forcé de commissionner des équipes de recherche à faire le travail. Des équipes indépendantes et crédibles. Ce sont des chercheurs canadiens et américains qui ont produit ces études.» 


«Si l’alternative [au saumon transgénique], c’est de manger du saumon qui provient de cages marines, je pense qu’on est aussi bien ne pas en manger! »

Simon Lamarre, biologiste spécialisé en physiologie des poissons à l’université de Moncton.

Ces recherches ont déterminé que les qualités nutritionnelles des saumons transgéniques ne diffèrent aucunement du saumon de l’Atlantique vendu sur le marché. Le professeur Lamarre explique qu’il serait même impossible pour un laboratoire de nutrition de différencier le saumon AquAdvantage de la variété sauvage. Santé Canada a également confirmé que le produit ne présente pas une allergénicité plus élevée et qu’il est à la hauteur des standards d’évaluation. L’utilisation massive d’antibiotiques dans les aquacultures traditionnelles en cages océaniques du saumon de l’Atlantique représente une inquiétude courante chez les consommateurs. Comme pour l’industrie bovine, l’usage d’antibiotiques est nécessaire dans les conditions de croissance en milieu semi ouvert, où les saumons sont continuellement en contact avec des pathogènes extérieurs. Les infections et les maladies ont plus de chance de se propager dans les cages où les saumons sont très rapprochés les uns des autres. Puisque les poissons sont élevés dans un milieu fermé où les conditions de croissance sont entièrement contrôlées, l’aquaculture du SAA ne nécessite pas d’antibiotiques.

Photo : Jonathan Hayward/Archives La Presse canadienne

L’une des préoccupations principales en matière de santé est le potentiel cancérigène des OGM et des hormones de croissance. En effet, certains reprochent à la compagnie AquaBounty d’avoir inadéquatement évalué et mesuré les concentrations en facteurs de croissance de type IGF-1 (Insulin-like growth factors). Il est indéniable que cet aspect de l’évaluation du SAA est d’une importance critique. De nombreuses études à travers le monde ont montré que la molécule IGF-1 exerce une forte action mitogène et anti-apoptotique sur des cellules cancérigènes. Plus simplement, à concentration élevée, ce facteur de croissance pourrait contribuer à la prolifération de certains cancers chez les humains. Les inquiétudes du public par rapport à cette molécule seraient cependant non fondées, puisque les IGF-1 sont des protéines constituées de plusieurs acides aminés formant une chaîne polypeptidique. Comme les autres protéines de notre alimentation, celles-ci sont dégradées par le système digestif humain en plus petits peptides, puis en acides aminés, via les protéases pancréatiques et autres enzymes de l’intestin. Ces acides aminés sont ensuite absorbés dans les cellules de l’intestin grêle puis diffusent dans le sang pour être redistribués dans l’organisme et réutilisés. Il est donc impossible que les IGF-1, ainsi que tout autre fragment d’ADN du poisson, ne s’incrustent dans le génome humain ou y exercent une action quelconque. De plus, les récepteurs des hormones de croissance chez les humains sont spécifiques aux hormones humaines et non à celles du poisson. De ce fait, même s’il y avait absorption d’hormones de croissance du saumon, elles auraient un impact très limité sur la santé humaine. Il n’y a encore aucun lien scientifique établi entre la digestion de ces IGF-1 et l’élévation des niveaux sanguins d’hormones chez les humains. Santé Canada a d’ailleurs souligné le fait qu’aucune littérature scientifique n’a montré clairement que les hormones de croissance dans l’alimentation soient biodisponibles chez les humains. D’ailleurs, les études d’AquaBounty fondées sur la comparaison du saumon transgénique avec le saumon de l’Atlantique ont démontré que les taux d’hormones et de facteurs de croissance dans les tissus des deux saumons étaient en dessous de la limite de détection.

Bien que ce produit ait été évalué et approuvé selon les normes les plus strictes de Santé Canada, cela est tout de même insuffisant pour rassurer une grande majorité de la population canadienne. Selon le professeur Simon Lamarre, le manque de connaissances du public est le plus gros obstacle à la commercialisation du SAA.

Quels sont les enjeux écosystémiques liés au saumon transgénique AquAdvantage?

Que se passe-t-il lorsqu’un OGM entre en contact avec la nature? Quels sont les risques pour l’environnement? Simon Lamarre est encore une fois catégorique : « Le gouvernement doit avoir des exigences très strictes. Il faut faire tout ce qui est possible pour éviter que les OGM ne se répandent dans l’environnement et envahissent ainsi le pool génique des organismes sauvages. ». Plusieurs sont inquiets de l’introduction incontrôlée de gènes dans des populations de poisson sauvage ou d’autres espèces, et de leur dispersion dans l’environnement. Les saumons transgéniques pourraient même avoir, selon certains, un avantage sélectif sur les autres poissons pour l’accès aux ressources alimentaires. Simon Lamarre évoque ainsi le principe de précaution, selon lequel «[…] l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement.»

Cette photo de 2016 fournie par Alexi Hobbs montre du saumon élevé à l’écloserie AquaBountyTechnologies à Fortune, Île-du-Prince-Édouard, Canada. Photo : Alexi Hobbs, AquaBountyTechnologies/AP

Environnement et Changement Climatique Canada a cependant déterminé, en collaboration avec Pêches et Océans Canada, que les mesures de confinement physiques, biologiques et géographiques du SAA étaient suffisantes pour assurer un risque d’introduction négligeable dans l’environnement. La Food and Drug Administration aux États-Unis avait préalablement tiré les mêmes conclusions après l’examen des mesures prévues par AquaBounty. En effet, l’aquaculture terrestre du SAA permet un niveau très élevé de confinement physique, «une véritable prison» selon le professeur Lamarre, qui empêche également les échanges infectieux avec les populations sauvages. De plus, le confinement biologique assuré par la stérilisation des poissons empêcherait leur reproduction en milieu naturel s’il advenait qu’un individu s’échappe.

Contrairement aux systèmes fermés utilisés dans les cultures en milieu terrestre, l’aquaculture intense en océans crée ses propres problèmes environnementaux en raison des eaux de ruissellement et des concentrations élevées de poissons. Simon Lamarre ajoute d’ailleurs : «L’aquaculture dans la Baie de Fundy et à peu près partout au monde est une catastrophe, [puisque] c’est extrêmement polluant. C’est une excellente nouvelle que les poissons soient élevés sur terre, plutôt que de relâcher tous les déchets [liés à leur exploitation] dans les milieux naturels.» Il est important toutefois de mentionner que les coûts d’exploitation sont nettement plus élevés en culture terrestre, d’où l’intérêt marqué pour des variétés de saumon qui croissent plus rapidement et qui utilisent les ressources plus efficacement.

Une alternative pour le futur?

Une lettre ouverte signée par 155 lauréats du prix Nobel a notamment été publiée en 2016 pour urger Greenpeace à renoncer à sa campagne contre les OGM. Pourtant, leur position, tout comme celle de beaucoup de gens, reste stoïque : les OGM seraient à éviter à tout prix en faveur d’alternatives. Cependant, dans la situation actuelle où la population mondiale devrait augmenter de près de 30% d’ici 2050 et la consommation de viande d’environ 50%, alors que plus de 90% des pêcheries sont en capacité maximale ou en surpêche, il paraît impératif de considérer tous les outils possibles pour améliorer le rendement des chaînes de production alimentaire. Les bénéfices potentiels des OGM sont nombreux, particulièrement en agriculture : résistance aux insectes, tolérance aux herbicides, mûrissement retardé, etc.


Saumon OGM et Premières Nations

Le saumon de l’Atlantique est au cœur des cultures Mi’gmaq et Malécite, des peuples qui utilisent le saumon depuis des centaines d’années à des fins alimentaires, rituelles et sociales, explique Catherine Lambert Koizumi, directrice générale de l’Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite (AGHAMM). L’association s’inquiète de la culture du saumon GM, en raison de la contamination potentielle des stocks sauvages, et dénonce le manque de transparence et l’absence totale de consultation des premières nations.

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Photo : Association de gestion halieutique autochtone Mi’gmaq et Malécite

Le professeur et chercheur au département des sciences biologiques de l’Université du Québec à Montréal, Jean Danyluk, travaille avec son équipe sur les impacts du stress abiotique, dont le froid, sur les plantes. Les cultures GM seraient, pour eux, bel et bien une solution : «La planète se réchauffe, on pourrait mettre des cultures de blé résistantes au froid plus au Nord par exemple, [afin] d’élargir le territoire sur lequel on peut faire de l’agriculture au Canada en 2020.» Bien que 64 pays dans le monde aient actuellement une loi qui oblige l’étiquetage des produits génétiquement modifiés mis en marché, il n’existe rien de la sorte au Canada. Alors, comment savoir si on consomme des aliments GM? Un des seuls moyens actuels pour éviter ces produits dans notre alimentation est d’acheter des aliments certifiés biologiques. Selon les statistiques de Santé Canada, 78% des citoyens désirent voir le gouvernement adopter un projet de loi sur l’étiquetage obligatoire des produits OGM.

Selon Simon Lamarre, le manque de compréhension du public est le plus gros obstacle à la commercialisation du saumon AquAdvantage. Il explique «La population a des opinions excessivement fortes et très fermes sur des enjeux qu’elle ne comprend pas. Ça, c’est grave, c’est dommageable pour tous.» Il semble que l’industrie alimentaire devrait rapidement trouver des solutions sécuritaires et efficaces aux enjeux futurs. Considérant que la population cherche à s’alimenter de manière saine et durable, tout semble pointer vers le saumon transgénique comme étant une alternative non négligeable pour l’avenir.


«Si on identifie le saumon GM, possiblement 90 % des gens feront un détour pour ne pas l’acheter. Ce serait un suicide commercial et aussi bien interdire la production de saumon transgénique si on oblige l’affichage. Les gens veulent savoir, mais ça ne donne rien, puisqu’ils ne comprennent pas toujours et il n’y a pas de danger pour la santé.»

Simon Lamarre, biologiste spécialisé en physiologie des poissons à l’université de Moncton.