Intrus dans nos lacs! Saurez-vous le reconnaître?

Texte par : Maxime Charbonneau, Divine Sikpa, Philippe Patenaude et Pascale Savard

Marc réside sur les berges du lac Bromont depuis maintenant trente ans. Depuis quelques années, il a remarqué, lors de ses sorties en bateau, que certaines parties du lac sont envahies par des colonies d’une plante aquatique qu’il n’avait jamais vue auparavant et qui l’empêche de circuler. Il apprend de l’un de ses voisins que la plante en question est du myriophylle à épis et qu’en plus de mettre en danger la santé du lac, elle pourrait avoir un impact négatif sur la valeur de sa propriété. Marc est inquiet et se demande quels sont les effets entraînés par le myriophylle à épis. Il s’interroge également sur les possibilités de lutte contre cet envahisseur.

Impacts économiques

Les plantes aquatiques envahissantes sont des plantes ayant un impact majeur sur les écosystèmes, selon Mélissa Laniel, chargée de projet au conseil régional de l’environnement des Laurentides (CRE Laurentides). Les sommes astronomiques qui sont consacrées dans la lutte contre ces plantes illustrent leurs impacts à travers le monde. Le terme astronomique n’est pas utilisé au hasard puisque selon le Ministère de la Faune et des Parcs, les coûts associés aux impacts des plantes aquatiques envahissantes sur la valeur foncière, les activités récréotouristiques et la pêche sont évalués à 1 400 milliards US, soit 5% du PIB mondial. Effectivement, des études menées aux États-Unis, comme celle fait par le biologiste et professeur du laboratoire de recherche sur les plantes envahissantes de l’Université Laval, Claude Lavoie, démontrent que la présence du myriophylle a comme conséquence de faire diminuer la valeur des propriétés riveraines d’environ 13%. Le myriophylle en épis est aujourd’hui répertorié dans plus de 161 lacs au Québec selon la porte-parole du Ministère de l’Environnement, Catherine Giguère. Cependant, ce nombre n’est pas exhaustif puisque plusieurs autres plans d’eau n’ont pas été répertoriés.

Colonie de myriophylles empêchant la pénétration de la lumière dans le lac. Photo : Roland Gissinger/Association Nature Alsace Bossue (ANAB)

Impacts écologiques

Le myriophylle en épi possède plusieurs caractéristiques lui permettant de dominer la plupart des écosystèmes dans lesquels il se retrouve. Tel que souligné par le Ministère de l’Environnement, seulement 2 à 3 ans après son introduction, cette plante peut remplacer les nombreuses plantes indigènes qui y étaient présentes depuis plusieurs décennies.

Un biologiste spécialiste du myriophylle à épis, Alexandre Marchand-Thériault de l’Université de Sherbrooke, souligne les aspects qui le démarquent de la majorité des plantes aquatiques du Québec. L’un d’eux étant que sa croissance est limitée par l’azote plutôt que par le phosphore comme pour la plupart des autres espèces. De plus, en hiver, alors que la majorité des plantes aquatiques se dégradent, les rhizomes, racines et pousses du myriophylle persistent sous la glace. Cette caractéristique avantage sa croissance et sa prolifération au début de la saison grâce à tout l’espace et nutriment auquel il a accès en premier. L’absence de prédateurs naturels au Québec avantage grandement le myriophylle, car il n’est pas affecté par l’herbivorie et n’a pas besoin de consacrer des ressources et énergies dans sa défense et sa protection.

Les colonies de myriophylles peuvent diminuer drastiquement la qualité de l’eau. Cet envahisseur puise le phosphore dans les sédiments des lacs et non dans l’eau comme la plupart des plantes aquatiques. Ainsi, lorsque la plante meurt, elle libère du phosphore dans l’eau et fait du même coup augmenter la concentration de cet élément dans l’eau. L’augmentation de phosphore dans les lacs accélère ainsi l’eutrophisation du lac, c’est-à-dire que le lac s’enrichit plus rapidement en nutriments et en sédiments qu’il le ferait naturellement. Ce phénomène a pour effet de rendre l’eau du lac plus trouble et de diminuer la concentration en oxygène dissous. Cette baisse d’oxygène provoque la mort des poissons vivant dans le milieu.


Voies d’entrées et dispersion

Le myriophylle a d’abord colonisé le fleuve Saint-Laurent vers 1958 en étant transporté dans les réservoirs d’eau des navires de marchandises. Il s’est ensuite répandu dans les lacs du Québec vers les années 1990 en adhérant à des embarcations nautiques telles que les bateaux de plaisance.
Ainsi, en 2017, on recensait le myriophylle sur plus de 80% des régions du Québec, principalement en Montérégie, les Laurentides, l’Estrie et l’Outaouais.


Fleur du myriophylle à épis. Photo : Roland Gissinger/Association Nature Alsace Bossue (ANAB)

Le myriophylle forme des amas ou colonies denses dans les plans d’eau, ce qui peut entraîner des effets négatifs sur le phytoplancton, les poissons, les plantes et algues indigènes. En effet, selon le Ministère de l’Environnement, ces colonies peuvent modifier la composition des espèces présentent dans le lac, c’est-à-dire autant leur abondance que leur présence, en créant une couche opaque qui diminue l’accès à la lumière entraînant ainsi une perte de biodiversité. Cette baisse de biodiversité peut également causer l’effondrement de la chaîne alimentaire, ce qui entraîne une baisse de l’abondance de zooplancton et de poissons dans le lac. Les amas denses de myriophylles servent également d’abri aux petits poissons ce qui les rend plus difficiles à chasser par les poissons carnivores qui voient leur population diminuer. Cette plante peut également coloniser les lieux de reproduction de plusieurs animaux aquatiques comme les amphibiens, les poissons ou les crustacés ce qui nuit à leur reproduction et perturbe encore plus la chaîne alimentaire.

Les colonies de myriophylles entraînent également une modification du pH des plans d’eau. En effet, une eau plus acide est souvent observée sous les amas de surface, ce changement de pH peut nuire aux plantes et organismes qui se trouvent dans ce milieu, car ils ne sont pas habitués à ce niveau d’acidité. Elles produisent également des composés phénoliques, matière chimique qui peut être toxique pour certains organismes. Ces modifications créées par le myriophylle permettent d’affaiblir ces compétiteurs et d’accentuer sa dominance dans son milieu.


Comment identifier le myriophylle à épis ?

Description générale : La plante est enracinée et peut être submergée totalement ou avoir quelques feuilles et fleurs émergées rougeâtres d’une longueur de 5 à 20 cm. Elle forme généralement des herbiers denses qui peuvent se retrouver jusqu’à 10m de profondeur.

Caractéristiques de l’espèce : Le myriophylle à épis est très similaire aux myriophylles indigènes. Pour les distinguer, il faut compter le nombre de folioles situées sur les feuilles. Si plus de 12 folioles sont présentes sur les feuilles et qu’il y a plus de 1 cm d’écart entre les verticilles (regroupement de feuilles), vous êtes en présence du myriophylle à épis

Myriophylles à épis

12-24 paires de folioles
Espace entre les verticilles ≥ 1 cm

Myriophylles indigènes

3-14 paires de folioles
Espaces entre les verticilles ≤ 1 cm


Cette plante a aussi la capacité de s’implanter dans des endroits ayant une profondeur atteignant 10 mètres, démontrant sa capacité à se développer à des profondeurs n’ayant que 5% de luminosité, ce qui lui permet de coloniser de plus grande superficie.

De plus, bien que cette plante ait une préférence pour des environnements riches en nutriments, avec des températures supérieures à 8°C et une luminosité élevée, le myriophylle a la capacité de pousser dans une grande variété de conditions. Cette capacité d’adaptation s’applique tant au niveau de l’eau (pH, alcalinité, teneur en nutriments, etc.) que des espèces présentes. Tel que souligné par M. Marchand-Thériault, cette capacité de croître dans diverses conditions lui permet de prospérer dans presque tous les plans d’eau douce et c’est ce qui explique qu’il est retrouvé dans de nombreuses étendues d’eau du Québec.

L’un des moyens de reproduction du myriophylle à épis, la fragmentation, soit la reproduction grâce à des fragments de sa tige, est un aspect expliquant une bonne partie de son caractère envahissant. Un plant peut donc générer une grande quantité de fragments qui pourra produire plusieurs autres individus. Ces fragments ont également une capacité de dispersion très grande, lui permettant de coloniser de grande étendue rapidement.

Les activités humaines favorisent le myriophylle à épis. Par exemple, l’utilisation de sels de déglaçage sur les routes modifie les caractéristiques de l’eau comme le pH et la conductivité de sorte à créer des conditions plus propices à la croissance du myriophylle. La dispersion par fragmentation peut aussi être favorisée par les activités humaines comme l’utilisation d’embarcations de plaisance. Les hélices des bateaux accentuent la fragmentation et peuvent aussi entraîner la dispersion entre plans d’eau lorsque les fragments s’attachent aux bateaux pour ensuite être transportés dans un autre plan d’eau. Ainsi, si un fragment se rend dans un nouvel environnement par l’intermédiaire d’une embarcation, le milieu sera fort probablement colonisé dans un court laps de temps.

Difficile de s’en débarrasser

Due à sa capacité de reproduction par fragmentation, l’éradication complète cette plante requiert le retrait de tous les fragments, ce qui est pratiquement impossible. La lutte contre cet envahisseur est donc complexe, dispendieuse et se déroule sur plusieurs années.

Différents moyens de lutte contre cette plante ont été testés au cours des dernières années, mais aucun n’a réussi à  éliminer   complètement   le problème. Les méthodes chimiques comme l’utilisation d’herbicides ont été envisagées, mais ces produits sont dommageables pour l’écosystème, affectant les plantes indigènes, non ciblées ou d’autres organismes comme les poissons ou invertébrés. Leur utilisation est souvent interdite par les municipalités ce qui fait que cette méthode est généralement peu utilisée. Les méthodes mécaniques ou manuelles pour retirer les plantes ne sont pas efficaces. Tel que souligné par M. Marchand-Thériault, ces méthodes produisent beaucoup de fragments microscopiques dont il n’est pas possible d’empêcher complètement la dispersion. De plus, le système racinaire des plants est solidement ancré au sol et impossible à déloger complètement. Des bateaux ont été spécialement conçus pour faucher le myriophylle et permettre la circulation des bateaux et la baignade dans certains lacs du Québec, mais le processus est à recommencer chaque année.


Les bonnes pratiques à adopter pour éviter l’introduction des plantes aquatiques

Selon la CRE Laurentides, il est essentiel d’appliquer ces principes de prévention pour assurer une lutte adéquate contre les PAEE. Voici les principales précautions à prendre pour freiner leur propagation :

1 – Les équipements nautiques ainsi que les embarcations doivent être inspectés afin de retirer tous les fragments de plantes pouvant s’y attacher. L’eau contenue dans ces équipements ou embarcations doit également être vidée loin d’un autre plan d’eau.

2- Où les installations le permettent, un nettoyage à l’eau savonneuse et à haute pression devrait être réalisé sur les embarcations et les équipements nautiques ayant été en contact avec l’eau. Sinon, la décontamination peut se faire avec un séchage d’au moins 5 jours.

3- Limiter le plus possible l’apport en sédiments et nutriments pour éviter la création d’un milieu propice au développement des plantes aquatiques.

4 – Ne pas arracher, couper ou transplanter les plantes aquatiques pour limiter leur propagation.

5 – Se familiariser dans l’identification des espèces de plantes aquatiques.


Installation de bâches en jute dans un lac infesté de myriophylle. Photo : Répart’eau

L’utilisation de bâches installées par-dessus les colonies pour diminuer l’apport en lumière semble prometteuse. Toutefois, tous les types de plantes se trouvant sous la bâche sont tués. De plus, si l’ensemble de la colonie n’est pas couvert, celle-ci réapparaît souvent les années suivant le traitement. Cette méthode nécessite également de mobiliser plusieurs personnes pour procéder à l’installation des bâches.

Finalement, l’utilisation d’insectes herbivores qui consommerait cette plante, telle que les charançons, a été testée en Ontario. Cependant, selon la biologiste, Mélissa Laniel, cette solution n’est pas efficace, car cette espèce ne s’adapte pas bien à ces nouvelles conditions environnementales, ni aux nouveaux prédateurs auxquelles elle fait face.

Sensibiliser pour mieux lutter!

Logo de la campagne de sensibilisation. Photo : CRE des Laurentides

Le réseau de surveillance volontaire des lacs (RSVL) est un partenariat entre le ministère de l’Environnement et le ministère de la Faune et des Parcs, ainsi que de nombreux bénévoles, qui a comme mission de lutter contre les espèces exotiques envahissantes, d’informer la population en acquérant de nouvelles connaissances sur ces plantes nuisibles et de faire un portrait global de leur progression dans nos lacs. Au CRE Laurentides, Mme Laniel a travaillé entre 2016 et 2020 à l’élaboration d’un plan d’action afin de lutter contre le myriophylle à épis dans les Laurentides avec la collaboration du ministère. Leur but était de faire une évaluation des lacs dans les Laurentides et faire des séances de sensibilisation pour les citoyens. Cela a permis de montrer aux citoyens qu’ils ont un grand rôle à jouer pour éviter la propagation de cette plante. Selon Mme Laniel, «la sensibilisation est l’un des éléments clés pour lutter efficacement contre le myriophylle ».

Depuis 2016, le CRE Laurentides distribue un guide expliquant aux riverains les enjeux reliés à l’invasion du myriophylle à épis afin qu’ils comprennent mieux les enjeux reliés à cette invasion. Mme Laniel explique que «des formations ont été données à des résidents d’une centaine de lacs pour qu’ils puissent connaître les plantes naturellement présentent dans le lac et ainsi détecter la présence de plantes aquatiques exotiques envahissantes à l’aide d’un guide d’identification ». Ils peuvent ensuite faire des signalisations via l’application Sentinelle qui seront vérifiées par des biologistes du Ministère de l’Environnement.

Principaux endroits à vérifier sur les embarcations de plaisance. Photo : CRE des Laurentides

Malheureusement, suite à la discussion avec Mme Laniel sur les différents projets effectués par le CRE et les autres organismes, il est mis en évidence que presque aucun encadrement de la part de la communauté scientifique n’est fourni pour lutter contre cette plante envahissante, car son éradication ne représente pas une avancée scientifique novatrice et presque aucun financement ne serait fourni aux chercheurs entreprenant des projets sur le sujet. Elle mentionne qu’après avoir parlé à plusieurs chercheurs, elle en est venue à la conclusion qu’aucune méthode scientifique fiable n’a été mise en place pour éradiquer complètement cette plante aquatique. Également que les cas de rémissions totales sont très rares et que les méthodes utilisées sont très vagues. En effet, elle indique que lorsqu’elle a posé des questions sur les méthodes utilisées pour les lacs qui ont réussi à l’éradiquer « on a pris les plantes et on les a arrachées » fut la réponse, la laissant très perplexe sur la bonne marche à suivre pour résoudre le problème présent dans nos lacs.

Où en sommes-nous ?

Selon l’étude faite par le CRE Laurentides de 2016 à 2019, sur les 218 lacs de cette région dans lesquels les plantes aquatiques ont été identifiées, environ 40 d’entre eux contenaient du myriophylle. Alors que selon le Ministère de l’Environnement, en 2020, il y avait 161 lacs contaminés à travers le Québec, bien que tous les lacs n’aient pas été recensés. Selon Mme Laniel, si les efforts de sensibilisation du CRE fonctionnent, le myriophylle devrait ralentir sa progression. Par contre, les changements climatiques ouvrent de nouveaux territoires qui étaient, au préalable, trop froids pour la colonisation de cette plante. Donc selon Mme Laniel, on ne peut prévoir si le myriophylle aura la capacité de se propager dans ces nouveaux milieux. Il est impossible de prévoir si le nombre de lacs contenant cette plante augmentera au cours des prochaines années ou s’il sera possible au contraire de le faire diminuer. Finalement considérant que le Québec contient plus de 3,5 millions de lacs, il est totalement irresponsable de notre part de ne rien faire alors que nos lacs sont lentement, mais sûrement conquis par des espèces exotiques qui ont des effets dévastateurs sur les écosystèmes. Il est donc impératif de développer un moyen permettant l’éradication efficace du myriophylle à épis.